L’éducation populaire autonome c’est…

La responsabilité sociale de l’individu

La Chaudronnée est une soupe populaire qui sert quelques dizaines de milliers de repas par année. Les personnes usagères sont en grande majorité des bénéficiaires de l’aide sociale, dont un bon nombre vit non seulement une pauvreté financière, mais aussi une pauvreté affective et culturelle, associée à des problèmes de santé mentale et physique, de toxicomanie, de manque d’estime de soi et d’isolement.En tant que membre de la TROVEPE, la Chaudronnée pratique l‘éducation populaire autonome (ÉPA).

Dans ce cadre, le but de nos interventions ne se limite pas à offrir des services personnels. Nous essayons autant que possible de sensibiliser les personnes usagères à la dimension collective de leurs problèmes individuels. Cependant, certaines personnes sont aux prises avec des problématiques tellement lourdes que leur survie quotidienne nécessite tout leur temps et énergie.

Paul (nom fictif) est à la fin de la trentaine. Il vient nous demander de l’aide parce qu’il veut mettre fin au bail qui le lie à son logement insalubre. Jeté à la rue à douze ans, il commençait alors à se shooter et se mettait à boire quelques années plus tard. Il est maintenant sobre, depuis cinq ans. Il lui reste de sévères séquelles de ses années de consommation, dont une grande difficulté à communiquer, en plus d’être analphabète. Le sensibiliser à l’enjeu social de son problème individuel et l’amener à militer au sein de l’Association des locataires pour le droit à des logements décents et peu coûteux s’avère très ardu, alors qu’il parvient à peine à organiser sa survie personnelle. Dans un tel contexte d’intervention – où il importe d’abord d’apporter une aide individuelle et immédiate – il est difficile d’atteindre, en plus, un des objectifs de notre pratique d’ÉPA qui consiste à mobiliser les personnes usagères de la Chaudronnée dans des luttes sociales.

Ces obstacles à notre travail d’ÉPA et le contact quotidien avec la misère des gens nous amènent à porter un regard critique sur notre société et les individus qui la composent: qu’est-ce qui justifie que des personnes, ni plus ni moins malhonnêtes ou mauvaises que d’autres, subissent des conditions de vie médiocres? Et dans quelle mesure le comportement quotidien de tout le monde contribue ou s’oppose à cette situation? Si certains sont trop obsédés par leur survie quotidienne pour s’intéresser ou s’impliquer dans les changements sociaux, d’autres n’y participent peut-être pas parce qu’ils sont trop obsédés par leur confort personnel…

En ce début de millénaire (un prétexte comme un autre!), peut-être pourrions-nous sincèrement nous questionner personnellement sur notre participation sociale. Pauvre ou riche, patron ou employé, jeune ou moins jeune, quel rôle je joue dans cette société qui priorise les statistiques de rentabilité économique au détriment du bien-être des personnes? Bien sûr, rien n’est simple, tout est complexe. Le rapport entre l’individu et la collectivité s’articule en plusieurs éléments liés par des relations d’interdépendance. Cette dynamique évolue souvent vers des situations conflictuelles et prend parfois la forme de cercle vicieux où les solutions sont exigeantes à plusieurs niveaux. Mais il reste qu’il y a des faits inacceptables: les dollars s’accumulent entre les mains d’une minorité alors qu’un nombre grandissant de personnes ont à peine de quoi s’acheter un pain.

Nous sommes donc convaincus que chaque individu, en tant que citoyen, a une responsabilité à l’égard des injustices engendrées par les structures sociales. Et même si les groupes qui pratiquent l’ÉPA s’adressent aux plus démunis, les mieux nantis sont aussi les bienvenus dans un mouvement qui lutte pour une société véritablement démocratique et plus égalitaire.

Définition de l’éducation populaire autonome (ÉPA)

En tant que membre de la TROVEPE (Table ronde des organismes volontaires d’éducation populaire de l’Estrie), nous disposons déjà d’un guide pour pratiquer l’ÉPA dans notre organisme. Cependant, il nous est apparu nécessaire d’adapter ce cadre au contexte de la Chaudronnée.

La TROVEPE présente l’ÉPA comme une démarche éducative qui amène des populations qui ne contrôlent pas ou peu leurs conditions de vie et de travail (p. 3) à transformer la société (…) pour obtenir une meilleure distribution de la richesse, pour qu’il y ait davantage de justice (p. 15). Cette approche laisse entendre que l’organisation sociale est presque exclusivement responsable des difficultés vécues par les gens démunis. De notre côté, l’expérience vécue à la Chaudronnée nous démontre que les individus ont aussi une part de responsabilité dans leur situation de pauvreté. Précisons cependant qu’être en partie responsable de nos problèmes n’implique aucunement qu’on est coupable d’être dans une situation difficile…

Par ailleurs, la misère des personnes usagères de la Chaudronnée ne provient pas uniquement de leur pauvreté financière, elle est aussi liée à leur pauvreté affective, intellectuelle et culturelle. Notons toutefois qu’il existe souvent un lien d’interdépendance entre les problèmes financiers et les autres difficultés et qu’il est difficile de trouver la cause première de telles situations.

C’est à la lumière de ces réflexions que le présent document a vu le jour. Comme celui de la TROVEPE, il s’articule autour de la définition de l’ÉPA donnée par le MÉPACQ (Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec), en décembre 1990. Nous avons cependant transformé cette définition en y ajoutant une dimension individuelle, afin de l’adapter à notre réalité.

Une définition adaptée de l’éducation populaire autonome
L’ensemble des démarches d’apprentissage  et de réflexion critique qui vise une prise de conscience individuelle et collective des citoyens et citoyennes au sujet de leurs conditions de vie et de travail, et qui les amène à des actions personnelles et collectives qui visent à court, moyen ou long terme, des changements individuels et une transformation sociale, économique, culturelle et politique de leur milieu.